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Quel âge est le plus propice à l’apprentissage d’une nouvelle langue ? L’Initiation aux Langues Vivantes est-elle adaptée aux enjeux de l’apprentissage précoce? Quelles sont les conséquences des différences prosodiques entre le français et l’anglais sur l’acquisition? 

La prosodie a longtemps été considérée comme un fait secondaire, presque accessoire, dans l’acquisition d’une langue étrangère. Elle est restée en bord de route, ignorée par une pédagogie « traditionnelle » qui a privilégié l’approche écrite. Même dans les méthodes axées sur l’oral, la prosodie est réduite à un rôle tout à fait annexe. Or, restreindre la langue à son seul code écrit, c’est oublier qu’elle est avant tout un code oral dont le rôle essentiel est de permettre les échanges entre les membres d’une communauté. 

Le don des langues ou le privilège de l’âge

L’âge semble jouer un rôle déterminant dans les processus d’acquisition. On sait maintenant qu’il existe une période privilégiée pendant laquelle l’enfant fait preuve d’une grande adaptabilité. Dès les années 60, Penfield (1959) montre que des enfants de moins de dix ans sont capables de récupérer intégralement leurs fonctions langagières après un traumatisme cérébral, contrairement aux enfants plus âgés. Leur extraordinaire malléabilité cérébrale compense facilement des atteintes jugées irrémédiables chez l’adulte. De plus, pendant cette tranche de vie, l’enfant manifeste de grandes qualités, notamment une formidable curiosité, une grande spontanéité, ainsi qu’une grande flexibilité cognitive. Cette période joue un rôle déterminant dans l’acquisition du système intono-accentuel d’une langue seconde et il est fondamental d’en commencer l’apprentissage avant 10 ans. Mais cette limite supérieure fixée, à quel âge précis l’apprentissage précoce sera-t-il le plus efficace ? Au cours moyen, au cours élémentaire, à la maternelle ou dès la crèche

L’âge idéal ?

Au cours du développement, il existe une période « idéale » pour tout apprentissage. Avant 12 mois, l’enfant possède des capacités exceptionnelles qu’il ne recouvrera à aucun autre moment de sa vie : ses capacités lui permettront d’acquérir sa langue maternelle en un temps record. En ce qui concerne la perception, on sait, grâce aux sciences cognitives, que l’enfant traite la langue par contours d’intonation. Intuitivement, les mères adoptent une pédagogie remarquablement adaptée bien qu’inconsciente, et s’adressent à leur enfant dans un langage approprié à ses capacités : le « baby talk ». 

Lors de l’acquisition d’une langue étrangère, on remarque un phénomène similaire dans la coopération exolingue : l’enseignant exagère l’intonation et marque le rythme lorsqu’il s’adresse à un étudiant étranger (Giacomi et Hérédia, 1986). Inconsciemment, dans un but d’apprentissage, le locuteur d’une langue donnée met en relief les éléments musicaux, qui doivent jouer un rôle important dans l’apprentissage. Dès la vie intra-utérine (la cochlée ayant atteint sa maturation fonctionnelle à 20 semaines, Lecanuet, 1999) et jusqu’à 6 mois, l’enfant fait preuve d’une véritable richesse perceptive. Mais, à mesure que l’enfant va s’imprégner de sa langue maternelle, ses capacités perceptuelles vont se restreindre. Le système perceptuel fixe progressivement des points de repères, constitués par des structures sonores simples, facilement codables et mémorisables. Leur prégnance va provoquer une spécialisation sur le système maternel. Ainsi, l’enfant qui, à 6 mois, pouvait encore discriminer un grand nombre de sons, verra, vers l’âge de 10-12 mois, sa perception se restreindre sur les seules distinctions utiles dans sa langue maternelle (Kuhl, 1994). 

Dans la mesure où il se spécialise sur les sons spécifiques de sa langue maternelle, l’enfant perd donc une partie de sa capacité à discriminer finement de manière auditive et à produire vocalement les sons étrangers à sa langue maternelle (Rondal et Comblain, 1991). Les travaux récents en neurosciences (Rakic, 1995) donne un éclairage biologique à ce phénomène : lors d’un apprentissage, les connexions entre les neurones se modifient. L’environnement modèle donc littéralement le cerveau en lui faisant adopter des configurations spécifiques pour chaque apprentissage. Cyrulnik (1983 : 147) précise que « cette sélection de circuits, au gré des environnements, permet une économie de matière vivante, car pour activer les milliers de milliards de connexions neuroniques possibles, il faudrait plusieurs dizaines de kilos de matière cérébrale ». 

Le processus de réorganisation est nécessaire à l’acquisition de la langue maternelle et à l’adaptation de l’enfant à son milieu. Malgré de nombreuses expériences menées en crèche, il paraît difficile de commencer l’apprentissage d’une langue étrangère avant l’âge de un an, pour des raisons institutionnelles : tous les enfants ne sont pas concernés. Il est donc impossible de reproduire, au sein du système scolaire, le développement naturel d’un enfant placé dans un environnement bilingue familial ou social. Pourtant, le plus tôt serait le mieux et il serait sage de commencer dès la maternelle comme le préconise Garabedian (1996). Mais malgré tout, l’apprentissage d’une langue étrangère peut encore se faire efficacement entre 6 et 9 ans. D’autres capacités développées par l’enfant dans le milieu scolaire viennent en effet s’additionner pour créer des conditions d’apprentissage privilégiées.

L’ « âge heureux » (Guberina, 1991) ?

Jusqu’à 6 ans, l’enfant traite les séquences verbales par contours intonatifs, avant un traitement plus local. Ce comportement perceptuel est en parfaite cohérence avec le développement cognitif de l’enfant qui éprouve, au même moment, des difficultés à intégrer les détails et à articuler le tout et les parties. Pendant cet âge heureux, l’enfant fait encore preuve de capacités excellentes à restituer la prosodie d’une langue étrangère d’autant que ses capacités d’imitation sont maximales entre 4 et 8 ans. Petit (1992 : 80) cite le cas d’une enfant américaine, âgée de 4 ans qui, seulement trois mois après son arrivée en France, avait totalement perdu son accent. Cette pulsion mimétique permet à l’enfant d’apprendre rapidement une langue. Les expérimentations réalisées par Johnson et Newport (1989, 1991) soulignent la qualité des performances d’apprentissage avant 7 ans. Pour Guberina (1991), c’est pendant cette période précédant l’école primaire que l’enfant développe les plus grandes facilités pour l’apprentissage d’une langue seconde. L’acquisition se fait encore de manière naturelle avant de se plier aux situations institutionnelles d’apprentissage. Cette notion d’apprentissage naturel ne veut pas pour autant dire qu’il suffit de placer l’enfant en situation de contact avec une langue étrangère pour qu’il la parle parfaitement. Un enfant, même bilingue précoce, peut oublier la totalité d’une langue si celle-ci n’est pas entretenue. Girard (1995) rappelle que « les enfants, malgré leurs grandes capacités d’apprentissage ont une grande faculté d’oubli qui se manifeste dès que le processus est interrompu ». Nous verrons à quel point cette remarque peut se montrer décisive quant aux problèmes de continuité dans l’apprentissage précoce d’une langue étrangère.

L’âge « critique » (Lenneberg, 1967) ?

Entre 7 et 9 ans, l’enfant traverse une nouvelle période de réorganisation perceptuelle : il passe d’un traitement global à un traitement analytique. Cette stratégie, nouvelle pour lui, sollicite de sa part beaucoup d’attention et de contrôle, ce qui expliquerait les pertes de discrimination constatées à cet âge (Piaget, 1937). Pourtant, les influences de la langue maternelle sont encore trop récentes pour avoir définitivement altérer les capacités auditives de l’enfant ; la discrimination des contrastes non natifs, bien que moins performante, peut-être facilement réactivée grâce à un léger entraînement auditif (Ribière-Raverlat, 1997). L’enfant bénéficie également d’un développement cognitif plus avancé : il possède des connaissances et des aptitudes acquises pendant sa scolarité, qui lui permettront d’apprendre rapidement une langue étrangère. Il est ainsi capable de répéter de longues séquences, il a de meilleures connaissances des caractéristiques générales de la langue (connaissances métalinguistiques), il commence à découvrir consciemment les règles et son système sémantique est mieux organisé. Pour Rondal et Comblain (1991), les enfants de 9 ans sont curieux, malléables, spontanés à condition que la dimension socio-affective soit respectée. Pour Guberina (1991), il est encore temps, à 9 ans, de commencer l’apprentissage d’une langue étrangère, même si cette période est charnière entre une période favorable et une période de difficultés.

Le « seuil fatidique » (Hagege, 1996) ?

En atteignant, vers 10 ans, le seuil fatidique de son développement, l’enfant perd une grande partie de sa richesse perceptive, avec la perte de sa malléabilité cérébrale. Les réalisations phonétiques se détériorent en raison de la perte de plasticité des contrôles moteurs, impliqués dans la production des phonèmes (Moreau et Richelle, 1981). On observe une apparente inhabileté à assimiler une prononciation authentique. L’articulation devient pesante (Petit, 1985). Le processus d’imitation, il est vrai, n’est plus aussi bon passé l’âge de 8 ans. Mais c’est surtout l’imprégnation avec l’environnement linguistique qui provoque les plus grands bouleversements. Le conditionnement progressif de l’oreille à la structure phonologique de la langue maternelle est pratiquement achevé et provoque une véritable surdité sélective aux contrastes existant dans d’autres langues et non pertinents dans la langue maternelle (Guberina, 1991). Cette fossilisation progressive rend difficile l’accès à d’autres structures phonologiques. Entre 6 et 8 ans, l’enfant a complètement établi les habitudes de sa langue maternelle et à partir de 9 ans, il se met à entendre les phonèmes en fonction de celle-ci et éprouve des difficultés à se corriger. Dalgalian (1981) n’hésite pas à parler d’« oreille nationale ». En effet, le cerveau se comporte auditivement en fonction de la première langue et sa configuration ne se modifie guère après 12 ans, car la myélinisation des zones secondaires et tertiaires est achevée (Luria, 1974).

Source : L’apprentissage précoce d’une langue étrangère : une solution pour la maîtrise de l’intonation et de la prononciation ?

http://cle.ens-lyon.fr/plurilangues/langue/le-changement-linguistique/l-apprentissage-precoce-d-une-langue-etrangere

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